Fañch Rebours

France

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  Questions-Réponses

#1

Je vais commencer par une question que tu m’as posée il y a quelques années. Tu es Breton et tu es écrivain. Le minerai avec lequel tu façonnes une grande partie de tes livres est tiré de ce pays. Te définirais-tu comme un écrivain breton, un écrivain régionaliste ou un écrivain tout simplement ? Dans le même esprit, quel est le sens de ta démarche littéraire ?

Je suis un Breton qui écrit des livres, un écrivain breton, sans conteste. Je suis régionaliste en politique et je vis la Bretagne à cent pour sang, ce qui constitue d'ailleurs ma porte d'entrée principale vers une lecture humaniste du monde. « Bretagne est univers ! » Je ne peux pas me dédouaner de l'inévitable l'étiquette, alors, je préfère carrément la revendiquer. Quant à devenir un « écrivain tout simplement », atteindre la pureté de forme qui laisserait toute place au fond, je ne me gonfle pas d'illusions, mais ce serait le combat contre soi d'une vie entière d'écriture. Ma démarche est claire depuis le début : je vis ici et maintenant, j'écris sur l'ici et le maintenant. En exagérant un peu (mais en tout humilité lucide) le canton de Paimpol est mon Yoknapatawpha à moi. Mon terroir ressource, laboratoire d'universalité. Fixé comme une bernique à mon rocher, je suis néanmoins un marin imaginaire : le port d'attache est aussi celui que je dois quitter pour aller voir ailleurs ce qui s'y passe et si j'y suis.

#2

Tes éditeurs sont tous installés en Bretagne. Est-ce un choix ?

Oui. Mon premier polar, basé sur une vieille histoire familiale, devait être un « one shot ». Je pensais passer par un site internet, financer la publication et distribuer le résultat dans mon cercle de proches : « Vous avez vu, j'ai fait un livre sur mon arrière-grand-père ! » Je n'aurais jamais imaginé poursuivre cette aventure et en faire le centre de mon existence actuelle. Lorsque mon ami Fred Ciriez m'a dit que le texte méritait d'être édité, j'ai évidemment cherché au plus près. J'ai envoyé cinq manuscrits à des maisons bretonnes. Le premier à m'avoir rappelé est Astoure. J'étais peu lecteur de polars bretons, mais se réjouir d'avoir son éditeur à une heure de route de la maison, c'est tout moi. Éric et Pascale Rondel m'ont accueilli avec beaucoup de chaleur et d'encouragements. Le livre a marché. Ils m'ont demandé un autre titre, je n'y croyais pas, pour moi l'essentiel était fait, j'avais fait un bouquin, voilà. J'ai quand même creusé une idée, une autre, ça a donné la Trilogie paimpolaise. Puis j'ai enchaîné avec les recueils de nouvelles cruelles. À la Gidouille, l'expérience éditoriale, tu le sais aussi bien que moi Alain, est très différente. L'accent est mis sur la qualité du livre, plus que sur sa vente. Je l'ai vécu d'abord avec Transport(s), sûrement mon fils préféré pour l'instant. Mes livres sont des « produits en Bretagne », distribués de manières variées et inégales. À l'avenir, tout en restant fidèle à mes amitiés, je ne m'interdirai pas d'élargir la zone, si je ne me perds pas dans le pays riverain. Cette problématique est un thème central d'« Aline et moi », mon petit dernier, à paraître fin septembre.

#3

Écrivain, c’est un rêve de gosse ?

Non, pas du tout. Lire est une passion d'enfance, oui. Mais à 10 ans, je rêvais d'être paysan. Je donnais le coup de main à la ferme voisine et j'enviais mes copains de pouvoir prendre la succession de leurs parents. Ensuite, j'ai compris que j'étais fait pour passer ma vie à l'école, malgré une crise tardive d'adolescence, entre 17 et 20 ans, où je disais que je serais barde. J'ai attendu vingt-cinq ans pour cultiver cette vocation.

#4

On peut dire que, pour l’essentiel – et pour l’heure – ton encre est noire. Parfois d’une grande férocité, même si l’humour – caustique – n’est jamais très loin. D’où te vient ce tempérament ?

Je commence par te détromper : le prochain, « Aline et moi », est une comédie. J'espère qu'il fera rire autant que les précédents ont pu provoquer frissons ou répulsion. J'y mets énormément d'auto-dérision, de burlesque, et je décape le sujet de l'écriture « provinciale », en regard de la grande kermesse de l'édition parisienne. Sans vouloir vexer personne, je m'inspire de mon vécu pour construire les chroniques d'un narrateur...qui porte mon nom, mais ça reste heureusement de la fiction ! Il est vrai que le reste de ma production est souvent noir et cru. Je pense qu'il y a là essentiellement deux raisons : d'abord, passé au filtre d'un optimisme désabusé, mon regard aigu sur le monde tel qu'il est. Je ne le définis peut-être pas très bien, mais c'est ce genre de capacités inscrites en nous et qu'expliquent sûrement le vécu, l'enfance, etc. Je suis un hypersensible, tout m'atteint et me fait me sentir responsable. Écrire me déculpabilise légèrement d'être à ce monde-là. Ensuite, l'influence de mes lectures. Pendant vingt ans, je n'ai pratiquement lu que du roman noir. Comme chez moi tout est périodique, ces derniers temps, j'en lis plutôt un sur quatre ou cinq. Quand on a Manchette, Jaouen, Le Corre, Pouy, Daeninckx, Ferey, Qiu Xiaolong, Manuel Vàsquez Montalbàn, Leonardo Padura, Craig Jonhson ou Deon Meyer comme auteurs de chevet, ça laisse forcément des traces.

#5

Parlons de la cuisine des anges. Quel est le moment, dans ton travail d’écriture, qui te procure le plus grand plaisir ?

Plusieurs phases sont meilleures que d'autres, au milieu de ces longues plages de concentration et de sueur, qu'il faut bien nommer labeur. Par exemple, le moment où surgit la première phrase d'une nouvelle ou d'un chapitre de roman. Pour moi, c'est souvent en marchant sur la route de la mer que ça vient, plutôt à partir de l'automne et tout l'hiver qu'en plein été. J'aime aussi beaucoup la recherche documentaire, les échanges avec les sources, les entretiens. Ce que je trouve plus pénible, c'est tout ce qu'il reste à faire quand j'ai mis le point final à ma première version d'un texte. Là, souvent, je me dis : « si tu n'étais pas assez bête pour te plier en quatre afin que plein d'autres gens lisent ça, et par conséquent te contraindre à plusieurs mois de reprises, cette affaire-ci serait classée et tu serais déjà en train de penser au suivant ! » Dans le travail d'écrivain, en général, il y a aussi le moment des rencontres. La première avec le nouveau livre, dans tes mains, quand tu sais que c'est fichu, que tu ne pourras plus rien changer, que ça ne t'appartient plus. Et puis les lecteurs qui reviennent te parler d'un bouquin qu'ils ont aimé. Les collègues avec qui tu as envie de causer littérature jusqu'au bout de la nuit. Toi, par exemple !

#6

Creusons encore un peu. Comment écris-tu ? As-tu des rituels précis ? Faut-il te mettre en condition ou l’écriture jaillit-elle comme bon lui semble ?

Jusqu'à présent, j'écrivais le week-end, une quinzaine d'heures environ, parfois deux heures le mercredi et un ou deux jours dédiés pendant chaque vacances scolaires. Quelquefois, en fonction des autres contingences, travail, maison, famille, ça ne « jaillissait » pas. Alors il valait mieux penser à autre chose. Mais tout ceci va changer cette année... Pas trop de rituels, non. Souvent, les premières phrases à la main, sur de petits carnets ou sur mes cahiers seyes « Super conquérant », là où je rassemble toutes les notes de recherches. Je passe très vite à l'ordinateur. C'est mon médium d'abandon au flot interne du texte. J'ai une pièce, un bureau dévolu à l'écriture, avec mes documents, photos, ambiances, cartes, affichées au mur. De temps en temps, quand je suis seul, je descends le portable dans la salle à manger et j'écris face au jardin.

#7

Je te sais engagé et tes convictions sont du reste très fortes. Écrire est-il pour toi, avant tout, un acte militant ?

Ah oui ! J'ai envie de rajouter : malheureusement, oui. Je n'ai rien du Parnassien... J'ai une fâcheuse tendance à écrire soit pour, soit contre. Quand je suis en phase d'écriture, j'ai l'impression de vivre la même monomanie, la même urgence à agir que lorsque quelque chose m'émeut, m'énerve dans le monde autour et met en branle le citoyen Fañch. Quand la maturité viendra-t-elle ? J'aspirerais volontiers à de l'apaisement. Le « joie et paix » de Giono est mon projet d'avenir rêvé. Pour l'instant, ce serait plutôt le « cri habillé » de Max Jacob. Concrètement, je suis autonomiste breton, je milite au sein de l'UDB, contre le jacobinisme, pour un pouvoir de proximité accru, dans une Europe des régions et des peuples solidaires. Je suis élu depuis 25 ans dans ma commune, j'ai été adjoint au maire, à la communauté de communes, candidat aux cantonales, etc. La vie m'a fait de gauche. Je lisais, hier, Edgard Morin : socialiste pour améliorer la société, communiste par souci de la fraternité et libertaire parce que l'individu a besoin de s'épanouir. Inévitable que mon écriture, sous-couvert de raconter des histoires, soit le reflet de cette tentative de synthèse.

#8

Tu es ce que j’appelle un lecteur fraternel, qui sait se réjouir du talent des autres (ce qui n’est pas si courant). Qu’as-tu lu d’épatant, récemment ? D’une manière plus générale, quels sont tes maîtres, tes influences ?

Quand je veux être épaté, je lis ou relis tes recueils de nouvelles, Alain ! Sinon, mon dernier émerveillement : « Le sport des rois » de C.E. Morgan, une fresque sombre et éclatante sur trois générations qui se déroule dans l'univers hippique du Kentucky, prêtée par une copine et dévorée en cours d'été. De manière générale, je m'intéresse de plus en plus aux américains, outre deux de mes « idoles », Jim Harrison et Louise Erdrich. Si j'avais les sous, j'achèterais tout le catalogue de Gallmeister. Les écrivains de littérature noire qui ont fondé ma forme, on en a déjà parlé. Dans les actuels, Franck Bouysse, Céline Minard, Marie NDiaye, Catherine Poulain, mon pote Frédéric Ciriez, ou notre voisine Fabienne Juhel me promettent des émotions à chaque nouvelle sortie. Je suis récemment curieux de Cécile Coulon, d'autres encore. Dans un genre plus classique, mais avec des aspirations punks quand même – et j'espère qu'elle va persévérer dans cette voie – j'ai évidemment un coup de cœur permanent pour Alice Zeniter, tu sais pourquoi. Et pour les anciens, Maupassant, Zola, London, Faulkner, Giono, Michon,... là je crois qu'on se rejoint tous les deux. Enfin, je ne sais pas s'il s'agit d'influence, mais mes nouvelles cruelles tiennent sans doute un tantinet du « réalisme sale », façon Carver, Brown, une once de Miller, voire de Bukowski, même si elles ne sont pas suffisamment libérées des adverbes et de la tentation moraliste ou militante. Par voie de conséquences, on en vient à Despentes, Houellebecq... J'allais l'oublier et pourtant, si j'ai un maître, c'est Hervé Jaouen. Ses noirs et aussi sa saga bretonne aux Presses de la Cité, dont je suis jaloux, car j'aurais aimé en écrire une dans cette veine naturaliste. « Nous arrivons trop tard et tout a été dit... »

#9

Antonio Lobo Antunes écrivait récemment que lorsqu’on écrit on doit penser qu’on est le meilleur au monde et l’oublier aussitôt le style reposé. Que penses-tu de la formule ?

C'est une formule pour écrivains confirmés. Je peux la comprendre mais pas l'appréhender. Moi, au bureau, je me trouve nul en permanence. Vocabulaire pauvre. Syntaxe biscornue et bourrée de bretonnismes. Thématiques quand même parfois assez crasses. Trop de mots, trop de longues périodes ou au contraire de formules mitraillettes. Il n'y a guère que de mes histoires et de mes structures narratives, collages de temporalités ou doubles « je », dont je suis un peu fier et c'est souvent ça qui perturbe le lecteur lambda. Sinon par ce négatif, je ne suis pas capable de définir mon style. Alors, comment Lobo Antunes veut-il que ce dernier se repose ? Je suis encore un débutant, je me donne le temps de progresser, sans pour autant viser tel ou tel challenge d'excellence. J'avance.

#10

En quelques années, tu t’es forgé une voix qui porte de plus en plus. En as-tu conscience ? Si oui, quel effet cela te procure-t-il ?

Je te remercie pour ce compliment, même s'il est grandement exagéré. Je ne suis pas persuadé de sa réalité. Et si c'est le cas, je suis plutôt inquiet de ne pas m'en être rendu compte et que tu sois le premier à m'avertir, ah ah ! Gallimard ne m'a toujours pas appelé pour me demander un texte. Ce n'est pas fanfaronner qu'avouer que je ne doute pas de ma voix, en revanche, de sa portée au-delà des frontières du canton ?

#11

Tu as décidé, cette année, de consacrer l’essentiel de ton temps à l’écriture. Qu’as tu actuellement sur le feu ? Quels sont tes prochaines parutions et quels projets as-tu en tête ?

Oui, les conditions étaient réunies pour que je m'offre une année pleine où « vivre en littérature »: écrire, bien sûr, poursuivre l'exploration de mes champs favoris, en défricher d'autres, semer, voir si quelque chose pousse. Lire, toujours. Mais aussi, depuis que j'ai participé au comité de lecture de la Gidouille ou au jury du concours de Stéphane Batigne, interroger mon envie (chimérique?) de m'essayer à l'édition. Sur le feu, plusieurs choses : « Aline et moi » sort le 24 septembre, donc promotion, signatures, salons d'automne en vue. Le manuscrit d'une seconde auto-fiction que je qualifierais de plus « radicale » commence à tourner, sachant que j'ai le désir de travailler avec un éditeur en particulier, mais encore faudra-t-il que ce dernier soit convaincu par un texte très atypique. Je termine également le premier jet d'un nouveau roman maritime. Enfin, j'ai débuté un travail avec une jeune dessinatrice, rencontrée lors d'une séance de dédicaces, pour mettre en images des scénarios d'albums pour enfants « très bretons ». On ne se refait pas. Je vais probablement en profiter pour remédier à l'absence de la langue bretonne dans ma production. Voilà, plus d'autres projets, à des stades divers d'évolution, plein les tiroirs. Il fallait bien que je prenne le temps de les développer. Parce qu'attendre une hypothétique retraite à 67 ans minimum pour s'en donner à cœur joie, c'est à la fois un pari risqué et une pénible frustration quotidienne...

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